Article rédigé par Clément Boudot
Le football est le sport comptant le grand nombre de licenciés dans le monde et évolue sans cesse. Sa pratique à haut niveau requiert une condition physique et mentale de plus en plus exigeante. Dans le football d’aujourd’hui il existe une augmentation du nombre de matchs joués sur une saison, de la distance totale parcourue, ainsi que de la distance effectuée en sprint lors des matchs par un joueur.
Toutes ces évolutions exposent de plus en plus les joueurs aux risques de blessures et notamment aux lésions musculaires qui restent la principale cause d’absence des terrains des joueurs lors d’une saison.
Récemment, les lésions musculaires ont été définies comme étant des lésions myo-aponévrotiques (= LMA) (Arnaud Bruchard - KINESPORT). La LMA est une atteinte du composite myo-aponévrotique par mouvement excentrique ou d’« overstreching ». Il s’agit d’une blessure par désinsertion entre un élément musculaire et son élément conjonctif correspondant et dont la gravité dépend de son étendue et de sa localisation.
Il est donc important d’avoir un programme de prévention établie en amont de la compétition pour permettre aux joueurs de s’exprimer pleinement lors de leur saison.
Anatomie
Le groupe musculaire des ischio-jambiers (IJs) est un ensemble de muscles situé au niveau de la loge postérieure de la cuisse. Il est composé de trois différents muscles : le semi-membraneux, le semi-tendineux ainsi que le biceps fémoral lui-même divisé en deux portions avec son chef court et son chef long.
Les IJs ont un rôle de fléchisseurs du genou, mais également d’extenseur de hanche. Ils sont bi-articulaires (à l’exception du chef court du biceps fémoral) ce qui contribue à leur vulnérabilité aux lésions musculaires en cas de compensations d’une faiblesse du grand fessier.
Mécanisme de lésions aux IJs
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Le Dr Carl Askling a proposé une classification en deux grands groupes pour les lésions des IJs :
Les lésions de type 1 sont les plus communes, impliquant plus fréquemment le chef long du biceps fémoral et sont généralement causées lors de sprints.
Les lésions de Type 2 sont quant à elles majoritairement causées par un étirement excessif des IJs lors d’une flexion de hanche et impliquent dans la plupart des cas le semi-membraneux.
Facteur de risques
Il existe de nombreux facteurs de risques pouvant augmenter l’incidence des lésions musculaires aux IJs, d’où la nécessité de les classer par ordre d’importance pour axer la rééducation et la prévention sur ces principaux facteurs.
Selon Bucktorpe et al., les 4 principaux facteurs de risques spécifiques aux IJs sont :
Un antécédent de lésion musculaire aux IJs
Une faiblesse musculaire des IJs lors de la phase excentrique
Une forte exposition hebdomadaire au sprint
Une faible résistance à la fatigue des IJs
Il existe également des facteurs de risques généraux de blessures qui rentrent en jeu lors des lésions des IJs comme un ACWR (= Acute: chronic workload ratio) élevé**, une mauvaise stabilité lombo-pelvienne, un niveau aérobique faible, une récupération non optimale, etc.
**Introduit par Blanch et Gabbett, le concept de l’ACWR (Acute Chronic Workload Ratio) permettrait d’évaluer le risque de blessure par rapport à la charge de travail réalisée.
Le ratio décrit « l’acute training load » (charge de travail aigu) sur la « chronic workload » (charge de travail chronique).
La charge de travail aiguë représente donc le niveau de « fatigue » de l’athlète alors que la charge de travail chronique se définit comme la « capacité physique ». Le ratio consiste donc à évaluer l’état de fatigue de l’athlète par rapport à ses capacités physiques
Des facteurs de risques, plus complexes à identifier sont à prendre en compte si les ressources matérielles le permettent :
Architecture du tendon du chef long du biceps fémoral
Cinématique sacro-iliaque
Longueur des fascicules musculaires
Enfin des facteurs considérés comme « indirect » peuvent également augmenter les risques de lésions des IJs :
Hygiène dentaire
Dysfonction temporo-mandibulaire
Quels sont les enjeux de la prévention ?
Les lésions musculaires des ischio-jambiers (= IJs) représentent un enjeu majeur dans la prévention des blessures dans le football. Les lésions aux IJs sont fréquentes, et représentent 37 % de toutes les lésions musculaires.
Les lésions musculaires aux ischio-jambiers ont une incidence 8 fois plus élevée en compétition que lors des entrainements. Un joueur professionnel de football reste en moyenne hors des terrains pendant 14 jours. Si l’on cumule sur une saison le temps passé hors des terrains des joueurs toutes blessures confondues, les lésions musculaires sont à la première place, totalisant le plus de temps d’absence des athlètes.
L’incidence globale des lésions musculaires aux ischio-jambiers augmente en moyenne de 4 % par an, probablement à cause de l’intensité des entraînements et des compétitions qui augmente également au fil du temps. Paradoxalement, ce sont les taux de blessures lors des entraînements qui ont augmenté le plus en comparaison aux taux de blessures en compétition.
L’un des principaux enjeux lors du return-to-play des athlètes ayant subis une lésion des ischio-jambiers est d’éviter une nouvelle lésion. Si l’on comprend tous les groupes musculaires, les lésions des IJs sont celles ayant le taux de récurrence le plus élevé, estimé entre 12 et 33 %.
Les 5 clés de la prévention des lésions musculaires des ischio-jambiers
La prévention des lésions aux ischio-jambiers doit être fondée sur les connaissances scientifiques, ainsi que sur l’expérience du clinicien dans une démarche EBP (= Evidence Based Practice). Lors de la mise en place de programmes de prévention, l’une des clés de son efficacité va résider dans l’adhérence du staff et dans l’assiduité du joueur avec une approche d’individualisation du programme.
Renforcement musculaire des ischio-jambiers
Les lésions musculaires aux ischio-jambiers arrivent généralement lorsque la force mécanique exercée est supérieure à ce que l’unité muscle-tendon peut emmagasiner. Le but du renforcement musculaire va être d’augmenter la capacité des tissus à résister à cette augmentation soudaine de force et ainsi diminuer l’incidence des lésions.
L’utilisation de l’entrainement excentrique a été le mode de prévention le plus étudiée dans le monde scientifique et a fait ses preuves quant à la diminution du taux de lésion aux IJs.
Par exemple le « Nordic Hamstring Curl » est un exercice de renforcement musculaire excentrique des IJs qui permet de diminuer les lésions musculaires de 65 % à 70 %. Cependant lors d’un sondage effectué auprès des équipes participant à la Champions leagues, seulement 11 % disent avoir adopté le programme d’application de cet exercice dans son intégralité.
Il existe donc un décalage entre les recommandations scientifiques et l’application de celles-ci dans les clubs. C’est pour cela que l’adhérence du staff est primordiale lors de la mise en place d’un programme de prévention.
L’entrainement de force excentrique aurait également comme bénéfice de modifier « l’architecture » musculaire. En effet il permettrait notamment un allongement de la longueur du faisceau du chef long du biceps fémoral (entre 16 % et 34 % après 5-10 semaines d’entrainement de force excentrique). Il a été mis en évidence que les joueurs possédant un faisceau musculaire du chef long du biceps fémoral court (<10,6 cm) seraient 4 fois plus à risque de subir une lésion des IJs par rapport aux joueurs ayant un faisceau musculaire plus long. Le risque de lésion musculaire diminuerait de 75 % pour chaque augmentation de 0,5 cm du faisceau musculaire.
Les IJs de par leur insertion sur la tubérosité ischiatique ont également un rôle d’extenseur de hanche. Cette particularité doit être prise en compte lors de la réalisation du programme et devrait incorporer des exercices d’extension de hanche en complément des exercices de flexion du genou. En effet, il a été démontrer qu’un déficit de force d’extension de hanche est un facteur à risque pour les lésions musculaires des IJs. Nous parlons d’ailleurs dans la suite de l’article de la composante d’extension, avec le travail en synergie des Ijs et des grands fessiers.
Dans le cadre d’un programme de prévention des lésions musculaires aux IJs, il est vivement conseillé d’incorporer une à deux fois par semaine des exercices de sprints où la vitesse maximale (90%-100%) est atteinte.
Charge d’entrainement
L’un des éléments les plus importants dans la prévention des blessures dans le monde du football est la quantification de la charge.
Une augmentation progressive de la charge d’entrainement quotidienne (chronic workload) pourrait augmenter la tolérance à des charges aiguës (acute workload) élevées. Une augmentation de la charge quotidienne permettrait également d’augmenter la résilience du sportif au risque de blessure.
Le jour de match ou l’arrivée d’une grosse échéance peuvent être des enjeux stressant pour le sportif. Il est important de détecter les facteurs psycho-sociaux participant à l’augmentation du risque de blessures. Il est nécessaire que la quantification du volume d’entraînement se fasse de façon holistique et prenne compte la charge mentale (stress, sommeil, évacuations des efforts perçus, etc.) de l’athlète. Cette détection ne peut se faire que par une individualisation des programmes de prévention.
Programme de stabilité lombo-pelvienne
Une raideur du psoas est un facteur de risque de lésion aux IJs. Il provoque une antéversion du bassin lors des sprints, une élongation accrue des IJs et une inhibition du grand fessier via une boucle « inhibitrice » qui entraine une activation importante des IJs. Le « moment de force »* d’extension de hanche lors d’un sprint peut atteindre le double du moment de force de flexion du genou. Cela s’interprète par le fait que, si les IJs doivent avoir un rôle d’extension de hanche pour combler le déficit du grand fessier, ils doivent alors générer une force deux fois plus importante que celle qui est produite dans le cas d’une flexion de genoux. Une mauvaise activation du grand fessier ou une faiblesse de ce dernier entraine donc une compensation importante des IJs et est considérée comme un facteur de risque.
*Moment de force des IJs : Force produite par les IJs en fonction du degré de flexion de l’articulation
Condition physique
Une bonne condition physique traduisant une force des membres inférieurs et une capacité d’aérobie accrue permettraient de réduire les blessures. En effet il apparait que les joueurs ayant une capacité aérobique et une force musculaire élevée sont plus enclins à tolérer un ACWR (acute : chronic workload ratio) important, et nous savons qu’un ACWR élevé étant difficilement enduré par un sportif est associé à un risque de blessure plus important.
Il est admis la fatigue entraine des altérations neuromusculaire responsables d’une plus faible capacité du muscle à absorber la quantité de force transmise. Si le muscle n’est pas en mesure de « freiner » la force d’allongement musculaire excessive, il se produira une lésion musculaire. Un état de fatigue musculaire engendrera une mauvaise biomécanique ne permettant pas au joueur de produire une force optimale et diminuera également sa coordination neuromusculaire.
Qualité du mouvement
Pour améliorer l’efficacité du programme de prévention, il est important d’apporter une attention particulière sur la qualité d’exécution des mouvements de base tels que les squats, les fentes et les réceptions de sauts. Ces mouvements doivent être effectués dans des directions, des vitesses et des plans différents afin d’améliorer les gestes spécifiques au sport et réduire le risque de blessures. Effectué des exercices d’échauffement caractéristiques des sprinteurs (tels que les A-skip, B-skip) permet d’améliorer la coordination, le timing, le contrôle neuromusculaire, mais surtout permet au joueur de développer sa force de manière fonctionnelle.
Il est donc préconisé d’incorporer des exercices qui consistent à décomposer le mouvement de sprint afin d’améliorer la performance et le contrôle moteur du sportif. Ces exercices peuvent être utilisés en tant qu’échauffement, séance spécifique en salle ou encore avant un entrainement spécifique au football.
Ces exercices de coordination doivent tout d’abord être effectués lentement avant de progresser en vitesse et en complexité. Ces exercices doivent également prendre en compte le fait que les mouvements effectués lors de matchs sont multi-directionnels.
Conclusion
Selon Buckthorpe et al., les programmes de prévention présentés aux joueurs et au staff doivent comprendre les 5 points présentés ci-dessous qui sont :
Un renforcement musculaire des IJs en insistant sur les phases de contractions excentriques
Contrôler la charge d’entrainement de l’athlète
Des exercices de stabilités lombo-pelvienne
Des exercices visant à améliorer la condition physique
Des exercices portant une attention particulière sur la qualité de mouvement effectué
Les programmes doivent être individualisés en fonction de l’athlète et correctement assimilés par le staff qui devra faire preuve de rigueur pour en tirer tous les bénéfices préventifs.
Nouvelles technologies
Le KFORCE Muscle Controller est un dynamomètre musculaire manuel fournissant un biofeedback acoustique et visuel en temps réel sur votre smartphone ou tablette via l’application KFORCE. Idéal pour l’évaluation rapide des muscles et polyvalent, le « Muscle Controller » enregistre sur l’application les résultats de vos patients sur des évaluations spécifiques. Suivez leur progression sur la force maximale, l’endurance et la symétrie musculaire.
Crédits : k-invent.com
Kineo propose des machines « Intelligent Load » permettant la réalisation de divers exercices avec des charges dites « biphasiques », c’est-à-dire différentes, entre la phase concentrique et la phase excentrique, afin d’optimiser les forces lors d’une séance d’entraînement ou de rééducation. Avec leur fonction Smart Vicous, la machine peut reproduire la sensation de mouvement réalisé dans l’eau pouvant s’avérer extrêmement utile en cas de rééducation à des stades précoces de lésions aux IJs.
Crédits : kineosystem.com
Athlete Monitoring est une application permettant de gérer la charge d’entrainement des athlètes, utiliser par plusieurs clubs comme le C.A Brive, l’équipe nationale de rugby du Pays de Galles, les Hurricanes en Nouvelle-Zélande ou encore l’Olympique de Marseille.
Crédits: athletemonitoring.com
Tout le contenu de cet article est présenté à titre informatif. Il ne remplace en aucun cas l’avis ou la visite d’un professionnel de santé.
Sources :
Ernlund, L., & Vieira, L. A. (2017). Hamstring injuries : update article. Revista brasileira de ortopedia, 52(4), 373–382. .
Buckthorpe, M., Wright, S., Bruce-Low, S., Nanni, G., Sturdy, T., Gross, A. S., Bowen, L., Styles, B., Della Villa, S., Davison, M., & Gimpel, M. (2019). Recommendations for hamstring injury prevention in elite football: translating research into practice. British journal of sports medicine, 53(7), 449–456. Article sous Creative Commons Attribution Non Commercial (CC BY-NC 4.0) license.